Interview : Charlotte Corday

16 Juillet 1793

 

Bonjour, vous êtes bien Charlotte Corday ? Nous avons quelques questions à vous poser, si vous acceptez d’y répondre. 

Je suis disposée à vous répondre.

J’ai cru comprendre que vous allez être guillotinée demain, Place de la Révolution, mais rassurez-vous, nous ne sommes pas là pour vous incriminer davantage.

Très bien, sinon ils seraient capables de m’exécuter deux fois.

Trêve de plaisanteries, commençons. Pour ceux qui ne vous connaissent pas, pouvez-vous vous présenter ?

Je me nomme Charlotte Corday d’Armont, un nom qui vient de Caen. Je descends de Pierre Corneille en personne ! Je suis née en juillet 1768, à Caen. Ma famille était bien aimée du Roi, nous étions de la petite noblesse. J’ai même été pensionnaire extraordinaire du Roi ! Bon, j’ai eu des ennuis à cause de mes combats, et beaucoup jugent mon « manque de féminité ». Bah, je n’y prête guère attention. Ma phrase préférée est « aucun homme n’était fait pour devenir mon maître ». Bref, même si j’ai toujours été très peu à l’aise avec mon époque, j’ai eu une belle enfance. Enfin, jusqu’à l’arrivée des révolutionnaires sauvages qui ont saccagé Caen, en 1792. Cela m’a énormément choquée, étant petite.

En parlant de votre enfance, on dit que vous avez été inspirée par énormément d’auteurs antiques. Si c’est vrai, lesquels ?

Personnellement, j’ai une grande passion pour les écrits de Montesquieu, Rousseau, et mon aïeul, Pierre Corneille. Je les lis depuis mon enfance et leurs héros m’inspirent grandement. Je crois que c’est eux qui m’ont donné l’idée du meurtre de…vous savez qui.

Parlons-en d’ailleurs, Pourquoi avez-vous tué Marat ? Quelles étaient vos intentions ?

J’ai vu les dégâts que Marat a commis au nom de la République. Les débordements de la Grande Terreur. J’ai vu la guerre civile s’allumer en France, j’en suis certaine et je vous le dis, Marat était le principal auteur de ce désastre, de ce massacre. En un mot : je voulais sauver la France de la Tyrannie Révolutionnaire.

J’ai écrit une lettre d’adieu à mon père le 9 juillet 1793, jour de mon départ pour Paris. Mon acte était préparé : je l’avais écrit la veille dans mon Adresse aux Français : « Français, vous connaissez vos ennemis, levez-vous ! » et « Que je sois leur dernière victime, et que l’univers vengé déclare que j’ai bien mérité de l’humanité ! »

Après deux tentatives infructueuses, Je suis arrivée chez Marat, j’ai forcé la porte de la rue des Cordeliers – ça n’était pas si difficile – je suis entrée dans la pièce où il se trouvait et… j’ai tué le tyran dans son bain.

Bonne mise en abyme : il nous a plongé dans un bain de sang, et maintenant, grâce à moi, il s’est vidé de son sang dans son bain.

Certains vous accusent « d’actes royalistes ». Comment vous défendez-vous ?

Je suis une girondine. J’ai toujours eu des idées républicaines, depuis mon enfance et avant que la république ne naisse. Je suis terrifiée par les massacres, voilà̀ tout. J’aurais voulu la destitution du Roi, pas sa mort. Mais visiblement nous n’avons pas le choix.

Dans cette révolution je le dis encore, il n’y a plus de place pour la modération. Ni pour les femmes d’ailleurs. Cela doit changer. Je me serais battue plus encore, si j’avais pu.

Pensez-vous être une source d’inspiration pour les générations futures ?

J’espère que plus de femmes pourront se soulever contre la tyrannie. J’espère être un exemple de patriotisme pour les françaises. Se sacrifier pour sauver la République, c’est ce que je veut montrer de moi, et non pas une tueuse de sang-froid comme on me dépeint habituellement dans « L’Ami Du Peuple ». En prison, j’ai demandé à ce qu’on réalise mon portrait, on a fait venir Jean-Jacques Hauer.

Devant le tribunal, je n’ai rien nié : je suis consciente d’avoir accompli un acte qui restera dans l’Histoire et je compte sur la postérité pour me rendre justice.

Je ferai tout pour publier votre message, mais je crois qu’il est temps pour nous de partir, on me signale qu’on doit vous laisser vous reposer pour votre exécution demain.

Oh, très bien ! Dans ce cas, au revoir ?

Merci de m’avoir confié́ le peu de temps qu’il vous reste…

Malheureusement je ne crois pas que nous nous reverrons. Mais bon, ça ira, ça ira… Comme on dit.

 

Antoine et Victor