L’expressionnisme abstrait

Un mouvement de réaction contre le réalisme

Il ne faut pas confondre l’expressionnisme abstrait avec l’expressionnisme, qui est un mouvement européen, plus particulièrement développé en Allemagne. L’expressionnisme est né comme une réaction à l’impressionnisme français. Il se concentre sur les états d’âme de l’artiste. La réalité représentée par les expressionnistes est déformée et reflète le pessimisme de leur époque qui se situe juste avant la Première Guerre mondiale.

L’expressionnisme abstrait est né aux Etats-Unis, dans les années 1940-1950 et grâce à lui New York devient pour la première fois une capitale de l’art.

Ce « mouvement » créé après la Deuxième guerre est une révolte et une réaction contre le réalisme et plus spécialement contre le réalisme conservateur socialiste. D’ailleurs beaucoup d’artistes représentants ce courant sont partis de l’URSS ou ont quitté l’Europe pour s’installer à New York.

L’expressionnisme abstrait se caractérise aussi par la rupture avec les techniques traditionnelles de peinture (tableau horizontal posé au sol, utilisation de bâtons, couteaux, pots de peinture industrielle, etc. au lieu des traditionnels pinceaux, palette et chevalet). Il représente la vie de la grande ville et ses difficultés. Les artistes de la New York School ont souvent peint des moments autobiographiques (Rothko, Guston, de Kooning). Les artistes créent des tableaux en grand format pour augmenter la force des émotions.

Mark Rothko explique que: « Peindre un petit tableau, c’est se mettre en dehors des sensations, regarder les sensations comme une image visionnée au projecteur. Quand on peint de grands tableaux, quoi qu’on fasse, on est dedans… A ceux qui pensent que mes peintures sont sereines, j’aimerais dire que j’ai emprisonné la violence la plus absolue dans chaque centimètre carré de leur surface… »

Les tableaux sont entièrement recouverts de peinture. Cette technique est appelée all-over.

Une des principales caractéristiques de ce nouveau mouvement est le lien entre le geste de l’artiste et son oeuvre. Ceci a donné lieu à deux courants dans l’expressionnisme abstrait: l’action painting et le colorfield painting, chacun ayant ses illustres représentants.

L’art gestuel (ou action painting) est interprété non comme un simple geste automatique, mais comme l’extension directe sur le tableau de l’expérience de l’artiste. Cette technique a été initiée par Jackson Pollock, qui utilise le dripping – projection de gouttes de peintures sur la toile, posée au sol, avec des gestes libres et aléatoires, en créant plusieurs couches et en donnant une profondeur à l’infini au tableau.

« Au sol, je suis plus à l’aise. Je me sens plus proche du tableau, j’en fais partie » déclare Pollock.

Willem de Kooning, un autre maître de l’art informel, se concentre aussi sur le geste non-prémédité de peindre, en utilisant non pas le dripping mais le couteau et la brosse, et en se servant des couleurs violentes comme les expressionnistes (d’où le terme d’expressionnisme abstrait). L’action painting est caractéristique également pour Franz Kline et Robert Motherwell. La technique du colorfield painting consiste en l’utilisation de couleurs très vives (souvent une seule ou deux) apposées à plat, ce qui prive exprès les tableaux de profondeur. Les émotions sont exprimées par l’intensité des couleurs ou par leurs nuances. Nous prendrons comme exemple les peintures de Mark Rothko, mais il faudrait également citer les noms de Benett Newmann et Helen Frankenthaler.

Les Irascibles

Quelques mots sur ce groupe de révoltés qui se sont engagés à défendre l’art avancé, souvent ignoré et mal exposé aux musées, ce qui d’après eux ne donnait pas une idée claire et complète de l’art américain de l’époque. Cette photographie de groupe datant de mai 1950 est devenue le portrait non officiel de la New York School, et rassemble les artistes qui se sont opposé dans une lettre ouverte à un concours organisé par le Metropolitan Museum of Art, à l’époque hostile à l’art moderne avancé. Les manifestants ont été sévèrement critiqués par la presse et qualifiés des « dix-huit irascibles ».

Il ne s’agit pas réellement d’un « mouvement », car ces artistes ne sont pas liés par les mêmes idées précises, mais ils revendiquent tous l’art gestuel et la libre expression de leurs émotions transmises sur leurs toiles, en utilisant de nouvelles techniques pour réaliser leurs œuvres.

Deux représentants majeurs du mouvement

Jackson Pollock (Wyoming, 1912 – Long Island, 1956)

Jackson Pollock est né dans le Wyoming et a passé du temps en Arizona et en Californie. Il découvre des dessins rituels sur le sable des Indiens Navajo, et leur art primitif, qui l’inspirent, plus tard pour la création de l’action painting. En 1929, il part s’installer à New York pour étudier à l’Art Students League. Plus tard, entre 1938 et 1942, il travaillera pour le Federal Art Project, un moyen de stimulation pour relancer l’économie américaine. Il découvre l’art de Picasso, Miró ou encore Kandinsky et en 1938 il s’intéresse à Orozco, un peintre mexicain.

Entre 1942 et 1947, il s’inspire d’Orozco pour créer des toiles all-over représentant des images mythiques et primitives.

À partir de 1946, il renonce à tout signe identifiable et se concentre à présent sur le geste artistique du pinceau et l’expression qui en découle. Il est à la base du « mouvement » des Irascibles.

En 1956, il meurt prématurément à 44 ans, d’un accident de la route, à cause de son alcoolisme.

Mark Rothko (Lettonie, 1903 – New York 1970)

Marcus Rothkowitz est né en Lettonie mais à l’âge de 10 ans, il émigre aux Etats-Unis, où il restera jusqu’à la fin de sa vie.

Il fréquente l’université de Yale de 1921-23. En 1925, après avoir étudié l’anatomie à la Art Students League, il étudie avec Max Weber, en peignant dans un style expressionniste.

Rothko est un intellectuel et un homme cultivé qui s’intéresse aussi à la littérature, à la musique et à la philosophie.

En 1951, il commence à enseigner au Brooklyn College et dix ans plus tard, le MoMA lui consacre une grande exposition. L’université de Harvard lui passe également une grosse commande. Il s’exprime exclusivement par la couleur et appartient au courant colorfield painting de l’expressionnisme abstrait, même si lui-même refuse d’être catégorisé. Ce qui l’intéresse le plus est « l’expression des émotions humaines fondamentales ».

En 1964, Dominique de Menil, un collectionneur et mécène, passe commande de la Rothko Chapel, à Houston, dans le Texas.

En 1968, Rothko est atteint d’une hémorragie cérébrale, mais en 1969, il crée la Fondation Mark Rothko.

Il se suicidera après cinq ans de longue dépression, dans son atelier, à New York, en 1970. Et c’est un an après son décès que la Rothko Chapel sera achevée.

Œuvres choisies pour représenter l’expressionnisme abstrait

1.      Jackson Pollock

Blue poles, peinte en 1953 est un chef-d’œuvre de Jackson Pollock. On distingue bien les techniques d’action painting et de dripping. Cette œuvre est entreposée à Canberra, dans la Australian National Gallery.

Dans Silver over Black, White, Yellow and Red, peinte en 1948,  nous trouvons  les mêmes caractéristiques que pour Blue poles, à savoir, l’action painting et le dripping. L’œil du spectateur se perd en profondeur dans les différentes couches e t c o u l e u r s d u tableau. On ressent le jet artistique formé par les tâches  et les traits de couleur. Il rajoute également des matérieaux supplémentaires, comme le sable et des morceaux de verre. Cette œuvre est entreposée au célèbre Centre Pompidou, à Paris.

2.      Mark Rothko

№7 Poster, est une œuvre emblématique peinte par Mark Rothko. Cette peinture est représentative de la technique de colorfield. Il s’agit ici d’une utilisation de trois couleurs, disposées à plat, sans relief. Les couleurs, par leur nuance ou leur combinaison expriment l’émotion que Mark Rothko veut nous transmettre. Ici, dans l’occurrence, il exprime la « violence absolue » (le rouge), comme il l’explique dans la citation ci-dessus.

3.      Willem de Kooning 

Dans son cycle « Femmes », j’ai choisi Woman V (1952-1953), Woman I (1950-1952) et Woman (1948), toutes peintes de manière cruelle et brute, en accentuant la violence par les couleurs. L’originalité vient aussi de l’utilisation de l’action painting réalisé avec des ustensiles tels que des couteaux et des pinceaux.

Son intérêt pour la figure humaine et ses recherches en stylisme l’ont poussé plus tard vers la sculpture. Il a élaboré un style particulier s’approchant vers l’abstraction et la figuration. La sculpture The Clam Digger (1972) représente une figure d’homme à demi achevée et rendue abstraite par la technique de modelage. On pourrait faire un lien avec l’action painting, mais dans le cas d’espèce, il s’agirait non pas d’une superposition de peinture, mais d’un matériau très dense.

4.      Philip Guston

J’ai un rapport particulier avec Painting, Smoking, Eating (1973), parce que j’ai eu la rare chance de pouvoir entrer dans la réserve du Stedelijk Museum d’Amsterdam, où est entreposé ce tableau, et de pouvoir le manipuler et l’observer de très près. Cette découverte faisait partie du tournage d’un opéra contemporain sur la vie de Morton Feldman, compositeur américain (que j’incarnais à l’âge de 12 ans), et grand ami de Philip Guston. Ce tableau est très grand (200 x 266cm), ce qui est typique pour les œuvres de l’expressionnisme abstrait. Les couleurs sont vives et Guston dépeint des états de sa propre souffrance, dans la grande ville. Cette peinture est donc autobiographique comme nombre d’autres tableaux de Pollock, de de Kooning, de Hofman, etc.

5.      Morton Feldman

Grâce à son ami, Philip Guston, Morton Feldman rencontre Rothko, Pollock et John Cage. Inspiré par leurs peintures abstraites, Feldman compose des pièces de musique aléatoire, en abandonnant les systèmes de la musique sérielle et les harmonies. Dans Rothko Chapel (1971), il indique comment il faut jouer les notes, mais laisse à l’interprète la liberté du geste artistique et le choix exacte des notes. Cela a pour effet que chaque interprète crée presque sa propre œuvre.

6.      Joan Mitchell 

La plus française des peintres de l’école de New York est influencée et inspirée par les impressionnistes français, avant de se lancer dans l’action painting. Ces peintures sont très inspirées par la nature et les paysages, et utilisent la puissance de leurs couleurs vives, comme la très représentative La Grande Vallée XIV. C’est un immense tableau qui fait 3m sur 6!

7.      Hans Hofmann

Autumn Gold (1957) est une belle œuvre all-over réalisée par l’action painting en utilisant des couteaux pour apposer la peinture. Les extraordinaires couleurs vives expriment bien l’ambiance de cette journée ensoleillée d’automne. Hofmann est connu pour ses couleurs particulièrement lumineuses et expressives, et reste une des figures principales du mouvement.

8.      Cy Trombly 

Achille pleurant la mort de Patrocle (1962) est un immense tableau (259 x 302cm) que j’ai eu le plaisir de l’admirer personnellement au Louvre-Lens, lors d’une visite dans le cadre du cours de grec. On reconnaît la technique du dripping. On sent la profonde tristesse d’Achille, n’ayant pas pu sauver son compagnon de guerre, et la violence et la sauvagerie de la mort, sur le champ de bataille.

9.      Sam Francis 

Le plafond peint en forme de triptyque pictural dans le foyer de la Monnaie a été réalisé par un dripping avec des magnifiques couleurs très vives. La fresque est énorme. Sam Francis n’était pas prédestiné à la peinture. Il était médecin et avait été engagé à l’armée. Il a eu un crash d’avion et a passé deux longues années à l’hôpital. Il se met alors à dessiner et d’après ses propres mots, la peinture l’a guéri.

10. Boyan Delattre – l’intrus 😉

Après dix jours de tournage à Amsterdam, pendant lesquels j’ai côtoyé de tout près les œuvres d’expressionnistes abstraits (peinture et musique), j’ai été contaminé par le virus de l’action painting et j’ai donné naturellement libre court à mes gestes artistiques, à l’aide d’une brosse.

Boyan

Bibliographie

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