Coupe du monde Qatar 2022
Embourbée dans une panoplie de polémiques, la Coupe du Monde au Qatar ne cesse de faire parler d’elle. Alors que le football semble avoir repris ses droits, et que le mondial bat son plein, la rédaction de l’Âne Rouge vous propose de revenir de manière exhaustive sur les faits rendant cette Coupe du Monde si controversée, et ce à travers une série d’articles, dont voici le premier. L’objectif de celui-ci est de revenir sur l’histoire du Qatar ainsi que sa situation politique et économique.
Histoire du Qatar :
La première apparition du Qatar sur une carte géographique remonte au 2ième siècle avant Jésus-Christ. Il apparaît alors sur une carte du monde arabe réalisée par Claude Ptolémée, savant et philosophe grec, figure du géocentrisme.
L’origine du mot « Qatar » est incertaine, mais deux hypothèses se démarquent. Cela pourrait soit faire référence à une ancienne localité à l’est de la péninsule, « Quadara », soit se rapprocher d’un terme venu de l’arabe ancien, et signifiant « goutte de pluie ».
Au 19ième siècle, le Qatar est une petite localité, vivant essentiellement de la pêche et de la culture de perles. La dépendance économique envers ces maigres atouts est forte. Les tribus se disputent donc les villes portuaires, rendant l’ensemble de la région instable, des conflits éclatants très régulièrement.
Les Britanniques, lassés par ces conflits qui menacent le bon déroulement de leur commerce maritime, décident de mener des arrestations dans la région. Ils commencent par, notamment, détruire la ville de Doha en 1821, avant d’étendre leur domination sur la région durant la décennie suivante. Différents traités sont signés, stipulant que la région est désormais sous contrôle du Royaume-Uni. Celui-ci reconnaît comme chef légitime la famille des Al-Khalifa, mais il n’y a, pour autant, pas de pouvoir central dans la région. En effet, il est fort fragmenté entre les différentes tribus. Londres va alors s’appuyer sur une figure locale pour unifier le pouvoir : Mohammed bin Thani.
Son fils, Jassim Al Thani, eut fort à faire, puisqu’il dut repousser les volontés hégémoniques de l’empire Ottoman et de Bahreïn. Il y parvint avec succès, non sans quelques batailles sanguinaires. A la suite de ces victoires, grâce notamment à l’aide britannique, les frontières du Qatar sont esquissées pour la première fois.
Cependant, le pays n’est pas pour autant tiré d’affaires. En 1915, à l’aube de la Première Guerre Mondiale, l’Arabie Saoudite se montre de plus en plus menaçante. Alors, en 1916, l’émir Abdullah bin Jassim Al Thani, dirigeant du Qatar, signe un pacte avec Londres, dans lequel il renonce à toute autorité dans les affaires étrangères en échange d’une protection militaire du Royaume-Uni.
Le Qatar reste alors un pays faiblement peuplé, qui va beaucoup souffrir de la crise économique de 1930, en raison de l’effondrement du commerce de la perle. Pour sortir de la crise, une ressource nouvelle, le pétrole, s’érige comme solution potentielle. Les deux premiers forages pétroliers débutent à la fin des années 30, mais voient leur exploitation freinée puis stoppée par la Seconde Guerre Mondiale, plongeant à nouveau le pays dans le doute.
Lorsque la production reprend, aux alentours des années 50, l’émir Alin bin Abdullah Al Thani s’en sert plus pour lui-même et ses proches, ainsi que pour faire taire les critiques des tribus adverses, plutôt que pour investir dans des infrastructures publiques. Il déclenche alors une vague de contestation, qui s’intensifiera au cours des années, entre autres à travers des manifestations. Durant l’une d’elles, en 1963, la famille régnante ouvrit le feu sur des travailleurs immigrés. Dans l’ensemble, la répression des autorités sera dure, et les ouvertures sociales très minces.
Vers la fin des années 70, en proie à une grande crise économique, les Britanniques décident que les colonies coûtent trop cher. C’est ainsi qu’en 1970, une Constitution est adoptée, déclarant la charia comme loi fondamentale. En 1971, le pays devient définitivement indépendant.
Pendant ce temps, de nombreux gisements gaziers sont découverts, insufflant au pays un nouvel élan économique. La main-d’œuvre vient principalement d’ailleurs : en 1975, 81% des travailleurs étaient étrangers.
L’émir Khalifa, arrivé au pouvoir en 1972, lance des plans économiques visant à améliorer les infrastructures du pays, ainsi qu’un plan d’aide sociale. Son successeur, Hamad, se tournera lui vers l’étranger, avec l’ambition de faire peser le Qatar dans les relations internationales, et donner une place au pays sur la carte mondiale. C’est principalement lui qui sera à l’initiative de la candidature pour la Coupe du Monde.
Son fils, successeur et émir actuel, Tamim ben Hamad Al Thani, penchera lui pour des choix bien plus conservateurs, notamment en remplaçant l’anglais par l’arabe dans l’enseignement.
A l’heure actuelle, le pouvoir des Al Thani sur le pays semble indiscutable. Ils assouvissent les autres tribus, qu’ils content sans mal, grâce à l’argent.
Positionnement géopolitique du Qatar :
Le Qatar, menacé de toutes parts par les volontés hégémoniques de pays plus grands et puissants que lui, a cherché, sous le règne d’Hamad, à se faire une place sur la scène internationale, en tant que médiateur de conflits, neutre. Cela leur a permis de nouer des relations de la plus haute importance, notamment avec les Etats-Unis. Cependant, ce rôle d’équilibriste est parfois difficile à tenir, tant il peut sembler paradoxal. Par exemple, lorsque l’on sait que le pays abrite à la fois le quartier général avancé du Commandement des Etats-Unis au Moyen-Orient, tout en ayant d’excellentes relations avec les Talibans, actifs en Afghanistan. Ou encore, lorsque le pays nouait à la fois des liens avec les deux factions palestiniennes opposées, mais aussi avec Israël.
Le Qatar s’est également démarqué durant le printemps arabe, en tenant une position différente des autres pays du Golfe, soutenant les prises de positions révolutionnaires, comme les Frères Musulmans en Egypte, le parti Ennahdha en Tunisie, ou encore l’opposition en Libye ou Syrie. Le pouvoir en place au Qatar, n’hésitant pas, de son côté, à prévenir toute révolte de la population qatarie en augmentant les revenus de celle-ci.
Cependant, ce positionnement pro-révolutionnaire ne fut pas un franc succès, puisque les révolutions sont violemment réprimées dans la plupart des pays. En Egypte, les Frères Musulmans sont renversés en 2013, la Libye sombra dans une deuxième guerre civile en 2014, tandis qu’en Syrie, l’aide de l’Iran et la Russie permit à Bachar El-Assad de rester au pouvoir, au prix d’innombrables bains de sang.
Le Qatar essaye donc de se distinguer de ses voisins dans sa politique étrangère, tout en tenant à se positionner comme médiateur potentiel afin d’aider à la résolution de conflits de grande envergure. Cette approche est parfois critiquée, considérée comme hypocrite, certains Etats accusant le pays de jouer à un double jeu, par exemple en servant de havre de paix aux Talibans.
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L’argument du gaz
Au 21ième siècle, le Qatar apparaît comme la première puissance en gaz du monde. Cependant, le pays est conscient de sa dépendance économique à celui-ci, et essaye donc, depuis plusieurs années, de diversifier ses sources de revenus, notamment via sa « Qatar National Vision 2030 ». L’objectif de ce projet est de « transformer le Qatar en une société avancée capable de réaliser un développement durable », d’ici 2030. Le but est de faire du Qatar une référence internationale dans de nombreux domaines, bien au-delà du gaz et du pétrole. Par exemple, le fonds souverain du pays possède de nombreuses actions en bourse, comme 17% des parts de Volkswagen, 10,83% de la Bourse de Londres, 3% de Total Energies et ainsi de suite. De plus, le Qatar a fait l’acquisition de nombreux lieux emblématiques, comme l’hôtel parisien Concorde-Lafayette. Cependant, le pays reste tout de même fort dépendant du gaz, qui représente 39% du PIB et 78% des recettes budgétaires.
En plus d’assurer le développement économique du pays, le plan porte une attention toute particulière au bien-être de la population qatarie, en veillant à ce que les infrastructures soient améliorées, les aides de l’Etat augmentées, et que la qualité des services soit maintenue. Cette dimension sociale donnée au projet n’est que le voile d’une dimension tout autre, à savoir politique. En effet, en s’assurant le contentement de la population à grand coup de dollars, le pouvoir en place se préserve de toute révolte, comme l’illustre bien la réaction des autorités durant le Printemps Arabe, pour se prémunir de tout soulèvement : une hausse des revenus de 60% pour les fonctionnaires, 120% pour les officiers de l’armée.
Précisons finalement que le pays cherche à se développer de manière indépendante, afin d’éviter d’être sous quelque emprise étrangère qu’il soit.
Et ensuite ?
En somme, bien qu’ayant d’importants moyens financiers, permettant à la famille régnante d’assouvir son pouvoir et son autorité, le Qatar est fort dépendant du gaz, dépendance dont il a toutes les peines du monde à se défaire. De plus, d’un point de vue extérieur, il est déchiré entre la volonté de rester neutre, et celle de soutenir certains alliés.
Ce déchirement se traduit également au sein du pays, entre une frange conservatrice de la population, en faveur de l’application des lois strictes de la charia, et une frange progressiste, souhaitant se tourner vers l’Occident. Ce décalage au sein de la population qatari, ainsi que les rouages de celle-ci, sera l’objet de l’article à venir.
[Article à suivre : la semaine prochaine]
Pierre
Références bibliographiques :
PIRON J., Qatar, le pays des possédants: du désert à la Coupe du Monde, Luc Pires Editions, 2022.
PETRIAT P., Au pays de l’or noir. Une histoire arabe du pétrole, Paris, Gallimard, 2021.
MORTON M. Q., Master of the pearl. A history of Qatar, Londres, Reaktion Books, 2020.
TEWFIK H., “Durant la guerre en Afghanistan, les Etats-Unis s’en prennent aussi à la chaîne qatarie », Le Monde, 11 septembre 2002.